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Le ménage, avec ou sans tronçonneuse ?

Le 27 avril, dans « le grand rendez-vous » diffusé sur Cnews et Europe 1 (chaînes de télévision et de radio bolloréennes), Amélie de Montchalin était interrogée sur les intentions gouvernementales en termes de réduction des dépenses de l’État. La ministre chargée des Comptes publics faisait alors la déclaration suivante :

« […] ce que je veux vous annoncer ce matin, c’est que parce que nous voyions bien qu’il faut, parce que nous demandons des efforts collectifs, que nous, dans notre organisation de l’État, nous soyons irréprochables. Vous savez que nous avons un sujet qui s’appelle les opérateurs et les agences. Nous avons une organisation qui est devenue par certains aspects illisibles, qui est devenue difficile à comprendre pour les français, et qui d’ailleurs, je crois, créé des inefficacités pour l’État. Je vous annonce que nous allons d’ici à la fin de l’année, proposer dans le budget qu’un tiers des agences et des opérateurs qui ne sont pas des universités soient fusionnés ou supprimés. Que nous réduisions notre complexité, que nous remettions un État plus fort et plus efficace sur le terrain.

[Question du présentateur : « vous virez des gens ? »] Cela veut dire que l’on va faire des économies effectivement de fonctionnement, cela veut dire que l’on va effectivement rapprocher des équipes, et qu’il y aura effectivement moins d’emplois publics à la clé. Vous savez aujourd’hui on a 180 000 personnes qui travaillent dans les agences et les opérateurs, c’est-à-dire plus que de gendarmes dans le pays. Ces 180 000 personnes elles ont toutes un métier, elles ont un rôle, elles ont une mission. Notre rôle, nous, c’est de considérer là aussi que les choses ne sont pas immuables.

[Interruption par un essayiste de plateau : « Mais soyons concrets, moins d’emplois publics à la clé égale des gens qui ne travailleront plus pour l’État, qui vont être virés d’une manière ou de l’autre »] Vous avez ce que l’on appelle la pyramide des âges, vous avez des gens qui partent à la retraite, vous avez des gens que vous pouvez mettre ensemble et donc que certains qui partent à la retraite ne soient pas remplacés. Vous savez on a plein de moyens, sans faire dans la casse sociale et dans la tronçonneuse, parce que ce n’est pas mon approche et je pense que nous devons faire les choses avec clarté, transparence et méthode. Je vous annonce qu’un tiers des agences et des opérateurs qui ne sont pas des universités seront dans les mois qui viennent, parce que nous avons…

[question du présentateur : « lesquels par exemples ? »]. Alors on a un travail qui est double. On a un travail qui est sous l’autorité du Premier ministre, mené par les plus hautes autorités administratives de ce pays pour que l’État lui-même fasse sa vision des choses. Et il y a un travail que je veux ici saluer, qui est une commission d’enquête qui est menée par les sénateurs et en particulier par la sénatrice des hauts de seine Christine Lavarde [LR], qui mène un travail de revue extrêmement précis – je serai d’ailleurs auditionnée par sa commission mi-mai, je ferai des annonces à ce moment-là aussi en réponse à ses propres travaux et questions. Là aussi on fait les choses avec méthode. Je ne viens pas sur votre plateau pour vous dire “vous voyez là j’ai ma tête de turc, là j’ai celui-là que je vais couper à la tronçonneuse” c’est pas le but. Mais le but c’est de dire, oui l’État : 1. Fait des efforts aujourd’hui. 2. Reprend le contrôle sur sa masse salariale. 3. Reprend le contrôle sur ses dépenses de fonctionnement. 4. Va faire du ménage dans ce qui est notre organisation. Parce que les français le demandent. Et je voudrais le dire ici avec peut-être des mots simples, mais moi ma responsabilité c’est de faire rappeler à chaque acteur public qu’il n’y a pas d’argent public, y’a pas d’argent de l’État, y’a que l’argent des français. L’argent que nous gérons tous les jours, c’est le vôtre, c’est celui des gens qui nous regardent, c’est le nôtre, c’est celui des Français, et donc un a un devoir de rigueur, on a un devoir de sérieux et on doit rendre des comptes et donc faire tout ce travail d’organisation efficace et de supprimer ce qui est inutile ou qui aujourd’hui coûte trop cher

[…échange avec le présentateur sur les avantages dont bénéficient anciens Présidents et Premiers ministres…] Vous voyez, les opérateurs dont je vous parle, supprimer un tiers ou fusionner un tiers des agences c’est 2 à 3 milliards d’Euros d’économies à la clé, ce dont vous me parlez on parle de quelques millions […]. » (si vous tenez à voir la vidéo, c’est ici)

Flatter l’extrême droite sur son terrain ?

On notera que plus d’un tiers de la très longue citation ci-dessus consiste à ne pas répondre à une question simple : quels sont les opérateurs visés ? Et pour une bonne raison : en fait, à écouter la ministre, on ne le sait pas encore, on le saura plus tard… quand tout aura été examiné avec méthode et transparence… à l’occasion de son audition au Sénat dans quelques semaines.

Dès lors, pourquoi faire une telle « annonce » alors que, comme la ministre le note elle-même, les travaux de la commission sénatoriale ne sont pas achevés ? Pourquoi faire des « opérateurs de l’État qui ne sont pas des universités » LA focale qui témoignerait de la capacité de l’État à faire des économies de fonctionnement ? Comment peut-on déjà savoir, avant même que « les plus hautes autorités administratives de ce pays » et la commission sénatoriale en cours n’aient achevé leurs travaux, qu’un tiers des opérateurs (pourquoi pas plus ? pourquoi pas moins ?) sera fusionné ou supprimé ? Comment peut-on savoir à l’avance que l’on pourra escompter de cette opération 2 à 3 milliards (pourquoi pas plus ? pourquoi pas moins ?) d’euros d’économies ?

Ce qui m’a particulièrement frappé (et, je dois le reconnaître, un peu étonné) dans cette déclaration, c’est le parallèle que l’on pourrait faire avec les annonces péremptoires habituelles sur les réductions d’effectifs durant les campagnes électorales. Elle rappelle ainsi celles d’Éric Woerth qui, en 2017, refusait de préciser les secteurs visés par la promesse de 500 000 suppressions d’emplois par François Fillon : « sinon, à un moment donné, on va donner les noms » (France Inter, matinale du 8 février 2017). Elle rappelle aussi celles de Valérie Pécresse et Éric Ciotti qui, en 2021, qui entendaient supprimer 150 000 à 250 000 postes sans jamais préciser où exactement, sans jamais expliciter ainsi la vision de l’État (de son rôle, de son périmètre d’interventions…) qui devait guider une telle politique.

Si cela m’a (un peu) étonné, c’est qu’il y a 3 ans et demi, pour Amélie de Montchalin, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, cette « surenchère » couplée à une incapacité à énoncer une vision politique explicite de l’État prouvait que LR était une « formation politique qui [n’était] pas mûre pour gouverner la France » (Le Parisien / Aujourd’hui en France, 24 octobre 2021).

Gageons que si la ministre a fait cette annonce sur cette antenne, ce n’est pas sans lien avec une publication intervenue une semaine plus tôt. Dans sa livraison du 20 avril 2025, le JDD (hebdomadaire bolloréen), consacrait sa Une aux « folles gabegies de l’État », que représenterait, en particulier, le « maquis » des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État, sans oublier « l’immigration », « France Travail ». Dans un contexte ou le RN agite de nouveau la menace d’une censure du gouvernement, on pourrait être tenté de ne voir ici qu’une tentative de flatter ou rassurer l’extrême droite – ce qui s’inscrirait dans une certaine continuité gouvernementale (avec le succès que l’on sait) depuis les législatives anticipée de l’été 2024 (voire un peu plus tôt…)

Prenons toutefois le temps d’examiner la question dans une perspective historique, en mobilisant quelques données administratives et travaux de sciences sociales, pour éclairer cette annonce largement reprise et commentée à partir de la métaphore du « ménage » que s’apprêterait à faire l’État parmi ses opérateurs et/ou agences (voir, par exemple, Le Figaro, 27 avril ; La Charente Libre et Le Télégramme, 28 avril).

Un « sujet » opérateurs de l’État ?

Selon la ministre, « nous avons un sujet qui s’appelle les opérateurs et les agences ». De quoi s’agit-il exactement ? En premier lieu d’une commission d’enquête sénatoriale sur « les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État », lancée en février 2025, à l’initiative du groupe Les Républicains. Cette commission réuni une vingtaine de sénateurs, issus de tous les groupes politiques représentés dans la chambre haute, elle est présidée par Pierre Barros (sénateur communiste), tandis que Christine Lavarde (sénatrice LR) en est la rapporteure. Les travaux de cette commission se poursuivent depuis plusieurs mois et doivent s’achever en août 2025. On peut en suivre les activités (via cette page qui liste, notamment, les auditions passées et annonce les prochaines). L’ensemble est public, diffusé en direct sur le site du Sénat, puis accessible en différé, telle l’audition sur les démarches de fusion des opérateurs ou celle sur l’agence nationale du sport ou de la recherche par exemple.

Cette commission entend examiner si « ces structures, toutes différentes dans leur organisation comme dans leurs modes d’intervention, répondent toujours au besoin qui a suscité leur création, si elles s’inscrivent dans une vision cohérente de l’organisation de l’action publique ou si leur multiplicité conduit à l’apparition de redondances entre leurs missions ou avec celles des administrations ». Les sénateurs et sénatrices ambitionnent aussi d’évaluer « le contrôle effectif de ces organismes qui relèvent de la sphère et de financements publics. » La commission d’enquête vise, à terme, l’élaboration de « propositions aussi bien sur la rationalisation de leurs périmètres d’intervention que, le cas échéant, sur les économies qui pourraient résulter d’une organisation plus efficiente. »

En clair, il s’agit d’évaluer la pertinence ou non du maintien des différents organismes, sans présumer à l’avance (comme le fait pourtant la ministre dans son intervention) de leur obsolescence comme de leur pertinence au regard des missions qui leur sont confiées.

En l’occurrence, les diverses données à notre disposition ne font pas forcément état d’une situation telle que l’urgence prioritaire pour les finances publiques devrait être de procéder à des coupes claires parmi ces organismes. En effet, les difficultés de définition juridique, de catégorisation du périmètre, etc. des agences et opérateur constitue bien un leitmotiv des rapports sur la question, force est de constater que le dernier en date, celui publié par la Cour des comptes en janvier 2021 soulignait que, depuis 2010, on observait « une réduction significative du nombre d’opérateurs » (de 643 à 483, soit -25%, cf. p. 30-35) principalement du fait de fusions d’opérateurs existants. Si l’on se réfère à l’annexe consacrée aux opérateurs de l’État dans le dernier projet de loi de finances (PLF 2025) on pourra constater que ce mouvement s’est poursuivi au fil des dernières années puisque l’on en compte, en 2025, 434. De même, pour ce qui concerne la masse salariale, si la Cour des comptes soulignait que les « emplois étaient difficiles à piloter », la « progression » de la « masse salariale » restait « contenue ». Le rapport relevait que le nombre d’employés dans les opérateurs s’élevait à 430 000 soit « l’équivalent d’environ 16,5 %  de l’ensemble des effectifs de l’État », cette part restant stable depuis 2012. À périmètre constant, les effectifs avaient même très légèrement diminué entre 2015 et 2019 (voir p. 51 et suivantes). Le PLF 2025, témoigne d’une augmentation des effectifs en prévoyant un peu plus de 491 000 ETPT (sous et hors plafond), soit une croissance possible d’environ 14 % (p. 26). Mais si les effectifs des opérateurs ont doublé entre 2007 et 2025 cela s’explique principalement par des changements de périmètres. Ainsi, la première mission, tant en personnels qu’en subventions, est désormais représentée par l’enseignement supérieur et la recherche, du fait de la politique « d’autonomie des universités » qui s’est traduite par transfert des dépenses de personnels du ministère vers les opérateurs que sont les universités. (voir cette note Fipeco).

Si la Cour des comptes relevait bien un « sujet opérateurs » en 2021, il concernait moins la question des dépenses et donc des économies à réaliser que celle de la pertinence de ce type d’organisation des services publics, celle du contrôle effectif réalisé par les administrations centrales sur les organismes relevant de leur tutelle, etc.

Des offices aux opérateurs en passant par les EPN, une question séculaire

En définitive, quel que soit les motivations de l’exécutif (nous y reviendrons plus bas), il est très intéressant de constater la résurgence des interrogations politiques face à cette forme d’organisation de l’action publique. En effet, ce qui semble se rejouer – via des formes juridiques et dans un contexte très différents bien sûr – ce sont les débats du premier tiers du 20e siècle autour des offices. Sur ce point, je ne peux que vivement recommander la lecture des travaux d’Alain Chatriot (et en particulier cet article de la Revue française d’administration publique) et, dans une moindre mesure, de ma thèse (pp. 281-82 et 307 et suiv.).

Pour résumer très grossièrement : entre la fin du 19e siècle et l’entre-deux-guerres, on voit fleurir une multitude de nouveaux organismes administratifs, le plus souvent dénommés « offices », parfois « comités » ou « commissions », dont les créations se sont particulièrement accélérées pendant la Grande Guerre. Il s’agissait alors de faire face à de nouvelles formes d’interventions industrielles (et plus largement économiques) de l’État. La forme « office » offrait divers avantages perçus en termes de souplesse de gestion, de contournements des conditions posées par le Parlement en termes de création de nouveaux services administratifs, etc. Cela témoignait aussi d’une certaine méfiance quant à la capacité des administrations « traditionnelles » à prendre en charge de nouvelles missions… Or, au fil des années qui suivirent la Grande Guerre, les débats relatifs à la définition juridique des offices, à leur périmètre, à leur contrôle, aux modalités de recrutement des personnels et de nomination des dirigeants, à la pertinence de confier certaines missions à de tels organismes plutôt qu’aux administrations centrales, à leur part croissante dans le budget, etc. se multiplièrent.

Comme l’explique Alain Chatriot, de « débats parlementaires à répétition » en « volonté plus large de faire des économies », cela conduisit à la création d’une :

« commission chargée d’examiner « dans un délai de trois mois à dater de la présente loi les statuts et les comptes des divers offices autonomes dépendant de l’État, soit pour les incorporer dans les services normaux des ministères, soit pour apporter à leur organisation et à leur gestion toutes les modifications suggérées par l’expérience et imposées par les nécessités d’économie et le souci de clarté »

Comme le soulignait déjà l’historien dans la conclusion de son article, les débats relatifs au contrôle étatique des établissements publics allaient se poursuivre tout au long du siècle.

Si la situation ne semble pas avoir beaucoup évolué, c’est aussi parce, l’administration française a vu se multiplier les organismes de ce type, en particulier les établissements publics nationaux (dit à caractère administratifs, industriel et commercial ou encore scientifique et technique). Certes, la croissance des effectifs de l’État relevant des EPN a logiquement accompagné la croissance globale du nombre des agents pendant les « Trente Glorieuses » (analysée ici – chap. 2 – pour l’ensemble du 20e siècle). Toutefois, en exploitant les données de l’INSEE pour les années 1976-2000 (recherche non publiée), j’avais pu constater que les effectifs des EPN avaient alors augmenté de 118% alors que ceux de l’État, dans le même temps, augmentaient de près de 12%. Ainsi, au fil du dernier quart du 20e siècle, inspirés en partie par les réformes mises en œuvre, notamment, au Royaume-Uni, avec l’agencification prônée par le new public management (dont on sait désormais, grâce à Christopher Hood et Ruth Dixon, qu’il n’a permis ni une réduction des coût ni une meilleure satisfaction des usagers), les gouvernants – issus des mêmes formations qui aujourd’hui les dénoncent – ont multiplié les créations de ce que l’on appelle aujourd’hui des opérateurs ou agences de l’État.

Fusionner les agences et opérateurs : une solution miracle et inédite ?

Les annonces de fusion d’un tiers des opérateurs font grand bruit depuis quelques jours mais il faut aussi les replacer dans des transformations historiques qui invitent à rester prudent quant aux économies à attendre d’une telle politique.

Le cas de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), particulièrement ciblée ces derniers temps, est très parlant à ce titre. En effet, cet établissement à caractère industriel et commercial (EPIC) a été créé en 1991. Or, il est lui-même le fruit d’une « fusion d’opérateurs » puisque né du regroupement de plusieurs organismes, et notamment de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), elle-même née en 1982 du regroupement de l’Agence pour les économies d’énergie (AEE) créé en 1974 et du Commissariat à l’énergie solaire (COMES) créé en 1978 (notice Wikipédia de l’Ademe). On pourrait aussi citer, plus récemment, l’origine de France Travail, né sous le nom de Pôle emploi en 2008, par la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE, créée en 1967) avec l’Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Assedic, créée en 1958). Ou encore les agences régionales de santé, elles-mêmes nées de fusions de services territoriaux de l’État dans le cadre de la RéATE.

La « politique de la fusion » n’a rien d’inédit ; tandis que, comme l’ont très bien montré Philippe Bezes et Thimotée Chabot dans un article que vient de publier la Revue française de science politique, les réorganisations administratives relève d’un « art ordinaire de gouvernement » qui fait que « l’architecture organisationnelle des ministères apparaît (…) en renouvellement constant, ce qui dément l’idée d’une administration inamovible et d’organisations immortelles ».

Il faut d’ailleurs noter que la commission sénatoriale a, dès le 28 avril, fait part de son scepticisme quant aux économies à attendre de fusions ou suppressions. Aux 2 à 3 milliards de la ministre, ils opposent quelques millions d’économies possibles. Public Sénat rapporte ainsi ces commentaires de Christine Lavarde :

« En tant que rapporteure, j’aurais été incapable de donner un tel chiffre parce que nous sommes encore en train de travailler et de récupérer des informations. Soit la ministre a des idées très précises en tête, soit elle dispose de documents dont nous n’avons pas eu connaissance, ce qui serait problématique […]. Au sein de la commission, nous avons des idées sur des choses qui font doublons. Mais nous ne sommes pas certains d’arriver à un milliard d’économies […]. Si on supprime ou si on fusionne les coquilles, cela ne se voit pas. On parle plutôt en millions d’euros d’économie. »

Quels sont les objectifs du gouvernement ?

La ministre chargée des comptes publics envisage-t-elle vraiment des économies massives – notamment en réduction d’emplois publics – au moyens de fusions et suppressions d’opérateurs ? Il me semble que l’on peut faire deux hypothèses quant aux intentions gouvernementales.

La première est celle d’une déclaration dont l’ambition ne dépasserait pas celle de l’effet d’annonce. Le choix d’une déclaration faite sur Cnews/Europe1, une semaine après la une du JDD, pourrait inviter à ne voir dans cette proposition qu’une façon de flatter l’extrême droite sur son terrain, dans le contexte des menaces de censure du gouvernement par le RN.

Cela signifierait que, dans les mois à venir, moyennant quelques fusions pour faire bonne figure, l’exécutif – s’il n’est pas renversé – abandonnerait l’objectif des 2 à 3 milliards d’économie. Cela expliquerait non seulement l’étonnement des sénateurs… mais aussi le fait que la ministre évoque 180 000 emplois, sans que l’on ne comprenne bien à quoi cela fait référence (si ce n’est pour la comparaison avec le nombre de gendarmes ?) puisque les emplois des opérateurs tournent autour de 450 000 depuis de nombreuses années.

La seconde est celle d’un objectif réel et assumé, dont il reste alors à définir les modalités d’exécution. Dans ce cas, la question des secteurs visés par le gouvernement devient cruciale. La ministre a d’emblée souligné que les universités ne seraient pas visées. Partons d’abord du principe que cette « sanctuarisation » concerne aussi les organismes tels que le CNRS (ce qui n’est pas du tout assuré). Notons au passage que cela ne signifie aucunement que l’ESR est devenu une priorité ministérielle : le secteur a été particulièrement ciblé par les annulations de crédits annoncées il y a quelques jours ; tout comme celui de l’écologie et du développement durable.

D’après les données de la Cour des comptes (rapport de 2021) 77% des opérateurs se consacrent à des missions relevant de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la culture (les musées principalement) et de l’écologie et du développement durable. Si l’on raisonne en termes d’emplois, la même proportion concerne l’ESR, l’écologie et le développement durable, et l’emploi (France Travail).

On imagine difficilement qu’un « grand ménage » parmi un tiers des opérateurs qui ne relèvent pas de l’ESR se limite à des économies d’échelles permettant de dégager 2 à 3 milliards d’euros. Le président comme la rapporteure de la commission sénatoriale ne s’y trompent pas :

Christine Lavarde : « Tout le monde veut supprimer l’Ademe. Cela veut dire qu’on va expliquer aux collectivités que l’on supprime le fonds chaleur, qu’il n’y aura plus de fonds décarbonation…» Pierre Barros « Si le gouvernement veut raboter dans les politiques publiques, qu’il l’assume plutôt que de se planquer derrière son petit doigt » (Public Sénat, 28 avril 2025)

Que le gouvernement dégaine la « tronçonneuse » ou qu’il procède pas à pas, d’annulations de crédits en suppressions/fusions de structures, dans une telle perspective ce serait bien à la remise en cause de certaines missions des services publics qu’il faudrait s’attendre…

Du fait de sa faible légitimité démocratique, une telle orientation, qu’elle reste discrète ou qu’elle devienne plus explicite, aurait de quoi interroger quant aux intentions de l’exécutif au regard de la crise démocratique dans laquelle nous sommes plongés depuis la réélection d’Emmanuel Macron et la dissolution de l’Assemblée nationale.


Billet rédigé à partir des notes préparatoires à cet entretien sur France Culture :

(Quitte à vous décevoir ou à vous rassurer, je me permets en revanche de corriger la présentation : je suis bien professeur assistant à Sciences Po)


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Émilien Ruiz (29 avril 2025). Le ménage, avec ou sans tronçonneuse ? Penser/Compter. Consulté le 11 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13u3f


Émilien Ruiz

Professeur assistant au Centre d'histoire de Sciences Po

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